N'est pas mort ce qui à jamais dort ...

Russie :Triple suicide par amour d'un même garçon

22 Décembre 2011 , Rédigé par Kthullu Publié dans #Faits Divers

Les faits se sont déroulés en février 1999 à Balachikha, dans la banlieue moscovïte . une bourgade fade , comme tant d'autres dans les environs . Avec, sa rue Lénine; son imposant monument à la victoire de 1945, avec flamme éternelle; sa statue en pied de Vladimir Ilitch (ici en version gris métallisé); son McDonald's flambant neuf sur la grand route, où les vieux bus jaune de la ligne 322 conduisent jusqu'à la capitale. Là-bas, par-delà la gare où «l'Electrichka» emmène aussi les voyageurs vers la grand ville, là bas où  même le chasse-neige ne s'aventure plus, où commencent la plate campagne enneigée, les maigres forêts de bouleaux.


On y trouve des immeubles de cinq étages , d'autre de dix étages (les deux "théorie" d'immeuble soviétique, de couleur ocre ou blanc , passe partout) .On appelle ça des cages à lapins, les Russes eux , préfère parler de fourmilières. Celle-ci n'est pas pire qu'ailleurs, pas mieux.


C'est là qu'elles vivaient. Des copines de palier. Tania, 14 ans, Macha, 12 ans, et Aliona, 11 ans. , au 9, rue de la Victoire. Toutes les trois. Pas dans l'immeuble le plus atroce. Au huitième étage .


 Lundi soir, elles étaient chez Aliona, seules. Vers 21 heures, elles se sont jetées par la fenêtre. Une à une. En bas, la neige abondante n'a pas suffi à retenir leur vie. Deux sont mortes sur le coup, la troisième quelques heures plus tard. Les habitants de l'immeuble n'ont rien entendu: «On regardait la télé», dit un voisin. Un corps de fillette qui tombe dans la neige ne doit pas faire beaucoup de bruit. C'est le frère et le père d'Aliona qui les ont retrouvées quand, à 10 heures du soir, personne n'a répondu à leurs coups de sonnette. Ils revenaient tous deux de Moscou où ils travaillent, c'est loin Moscou, très loin de Balachikha.


Comme c'était un «suicide collectif», qu'Aliona est ukrainienne et que des brochures religieuses traînaient chez elle, la police et la télé ont  tout d'abord parlé de sectes, comme celle des Frères blancs, dont plusieurs dirigeants sont sous les verrous à Kiev. Il y a près de 13 000 sectes et associations religieuses enregistrées en Russie. Puis, des sociologues ont avancé un autre chiffre: dans la région de Moscou, un suicide sur trois est celui d'un mineur. Plus de 2 000, pour l'année 1998, sans compter ceux qui ont échoué. Avec un âge critique: 14 ans. Celui de la moins jeune, Tania, toute blonde. Très vite, on n'a plus parlé de secte.


L'entrée de l'immeuble n'est pas des plus reluisante. Les boîtes aux lettres le long du mur (l'un des deux modèles soviétiques) y sont béantes, souvent défoncées, sur tout un pan, et rouillées. Une armoire métallique peinte en rouge apporte l'une des deux touches de couleur; l'autre, c'est celle de la rampe verte. L'ascenseur ne fonctionne pas. Depuis longtemps? «Bien trop longtemps!», souffle une femme en montant les escaliers éclairés par la seule lumière du jour, que laissent passer des vitres jamais lavées. Sur chaque palier, une grosse colonne montante, parfois éventrée d'un trou où l'on jette le contenu d'un seau en plastique rempli d'ordures. Les épluchures qui ont raté le trou s'accumulent. Parfois, sur certains paliers, le trou a été rebouché et cerclé de fer, ou il n'y a pas de trou. Partout, une poussière grasse occupe les coins.


En somme , un immeuble russe ordinaire d'une banlieue ordinaire, hormis les graffitis, plus nombreux qu'ailleurs. Chaque brique ocre de l'escalier, ou presque, est comme une page: des noms, beaucoup de noms, garçons et filles. Plus d'amour que d'injures. Sur l'une de ces petites briques, près des sonneries du palier: «Tania + Macha = amitié». Les deux fillettes habitaient là depuis longtemps. Il y a cette photo d'elles, un jour de fête, toutes deux en robe blanche. La troisième, Aliona, est arrivée d'Ukraine il y a près d'un an. Sa famille a emménagé sur le palier des deux copines. Le cercle de l'amitié s'est élargi. «Elles étaient tout le temps ensemble, disent les gamins de l'immeuble. Et elles étaient toutes les trois amoureuses de Dima», 14 ans. Un garçon de leur escalier, au sixième. «Pour Dima, ce n'était pas plus que des copines», ajoute la bande. Un secret? Même pas. Elles avaient toutes les trois gravé sur leur peau, avec la pointe d'un couteau, le nom du garçon.

A l'école, où l'on a l'habitude de faire remplir des questionnaires sur les goûts et les couleurs, à la question: «Quels hommes aimez-vous?», les trois avaient répondu en plaçant Dima à la première place. Tania tenait un journal intime qu'elle avait titré «Le journal de l'amitié». Elle y jouait au jeu des questions. A la question 36 («Que feras-tu si le garçon que tu aimes te quitte?»), Tania avait répondu: «Je sauterai du 14e étage». Son immeuble en possède dix. Elle s'est jetée du huitième.


Son journal intime, Tania le laissait en vue sur la table. Avant la mort de sa fille, la mère ne l'avait jamais ouvert. La directrice de l'école n° 2 connaît Tania et Macha depuis la première classe. Elèves moyenne. «Et de bonne famille». Traduisez: non alcoolique. Aliona était dans une autre école. Où on la tenait pour renfermée, sans amies. C'était la plus jeune, peut-être aussi la plus déterminée. «Je n'accuse personne», soupire, effondrée, la mère d'Aliona en tortillant entre ses mains la photo de sa fille, en habit traditionnel ukrainien: une beauté de poupée. «Il y a une semaine, Aliona a dit à son père qu'elle allait se jeter par la fenêtre avec Macha, explique la mère de cette dernière à un journaliste, il n'y a pas prêté attention.» Elle n'accuse pas, mais excuse plutôt.

Depuis début février, Aliona manquait l'école pour «Des problèmes cardiaques.» Elle restait à la maison. Alors, lundi en revenant de l'école, les deux copines ne l'ont pas retrouvée sur le palier comme habituellement, mais chez elle. Aliona a sans doute fermé la porte à clef. Et puis est venu le moment où elles ont ouvert la fenêtre. Sur la table de cuisine, Aliona a laissé une lettre à ses parents, ont rapporté les enquêteurs. Elle leur demandait de respecter sa dernière volonté: «Que l'on soit enterrées toutes les trois ensemble dans un cercueil rouge et noir.» 


Mardi, la neige est tombée puis dans la nuit qui a suivi. Effaçant les dernières traces de sang. Recouvrant tout. Sauf les poubelles, informes chaudrons en ferraille rouillée, royaume des chats. Aucune boutique alentour. Un kiosque à quelques centaines de pas. Sur la chaussée de l'Enthousiasme (le nom de la grande route qui file droit jusqu'au centre de Moscou), un réverbère sur deux est toujours décoré avec des taches de couleur: rouge, jaune, verte. Seuls restes des jeunes défuntes. En forme de trois petites étoiles...

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